Pour les passionnés d’astronomie, voici un article d’Emile Bidoux du Club de Découverte des Sciences Astronomique de Martinique, dont nous diffusons régulièrement l’actualité.
Le 19 octobre 2018 la mission spatiale Euro/Japonaise BepiColombo[1] s’envolait de Kourou en direction de la planète Mercure qu’elle atteindra en décembre 2025, soit après un périple de plus de 7 ans.
Il est légitime de se poser les questions suivantes :
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Qu’attendent les scientifiques des résultats des relevés qui seront effectués sur la plus petite planète[2] du système solaire ? Quels intérêts peuvent-ils représenter pour une meilleure connaissance du monde qui nous entoure ?
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Pourquoi faut-il 7 ans pour atteindre Mercure qui se trouve à une distance comprise entre 46 millions et 69 millions de kilomètres de la Terre, alors qu’un voyage sur la planète Mars[3], qui s’approche au plus près de nous à 60 millions de Km, s’effectue en 6 ou 9 mois.
Objectifs de la mission.
Mercure a été très peu étudiée depuis la Terre, contrairement à la plupart des autres planètes, car elle est visible seulement pendant moins de 2 heures avant le lever et après le coucher du Soleil. Elle est le plus souvent noyée dans les lueurs de l’aube ou du crépuscule. La première carte de sa surface a été établie par Antoniadi [4] en 1934.
Du fait de la difficulté d’approche, notamment les températures de sa surface variant de -180° C à 430° C, peu d’engins spatiaux se sont aventurés dans les parages de Mercure[5].
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La sonde Mariner 10 (NASA), lancée en 1973 a pris les premiers clichés de Mercure lors de ses 3 survols en 1974 et 1975, mais elle a surtout détecté un champ magnétique intense, comme sur Terre et contrairement à Vénus et Mars qui n’en possèdent pas.
[1] Nom du scientifique italien Giuseppe (Bepi) Colombo (1920-1984). Père de ‘l’assistance gravitationnelle’. Technique fondamentale pour les expéditions spatiales de découverte des objets du système solaire. Voir plus loin.
[2] Le diamètre de Mercure est de 4868 km, soit 38% de celui de la Terre.
[3] Mars orbite autour du Soleil à une distance comprise entre 200 et 250 millions de km, soit à une distance maximum de le Terre (apogée) de 400 millions de km et une distance minimum de moins de 100 millions de km (périgée). La distance du périgée est variable car elle dépend de l’excentricité de l’orbite qui vaut 0,09, soit 5,6 fois plus élevé que celui de la Terre.
- Pour mémoire, c’est cette forte valeur de l’excentricité de Mars qui a permis à Kepler (1571-1630) de formuler les 3 lois qui régissent les mouvements des planètes, à partir des observations très précises de l’astronome danois Tycho-Brahé (1546-1601)
- Rappel : Plus l’excentricité de l’orbite (ellipse) d’une planète est élevée plus elle est aplatie. Le cercle a une excentricité de 0 et celle d’un segment de droite est égale à 1.
[4] Eugène Antoniadi (1870-1944). Astronome à l’observatoire de Paris-Meudon
[5] Un prochain chapitre complétera les difficultés d’un vol spatial vers Mercure.
Elle a été suivie par Messenger [1] (NASA), lancée en 2004 et en orbite autour de la planète de 2011 à 2015.
Les observations de Mariner 10, notamment la découverte de son intense champ magnétique, ont poussé les scientifiques à envisager, il y a plus de 30 ans, une autre expédition d’étude de Mercure.
C’est la mission BepiColombo, partie de Kourou le 19 octobre 2018, qui arrivera près de Mercure le 25 décembre 2025. Deux sondes scientifiques seront alors mises en orbite autour de la planète et y resteront jusqu’en mai 2027, voire mai 2028.
La première sonde est nommée MPO (Mercury Planetary Orbiter) et la seconde MMO
MPO [2], réalisera une cartographie complète de Mercure, étudiera sa composition et sa structure interne. Elle dispose de 11 instruments scientifiques [3].
Mio [4], analysera son champ magnétique et sa magnétosphère[5] .Les données recueillies permettront de mieux comprendre la formation et l’évolution des planètes « internes » [6] telles que la Terre. La sonde dispose de 5 instruments.
Mais BepiColombo aura aussi pour tâche de vérifier si l’orbite de Mercure confirme les calculs de la Relativité Générale d’Einstein [7].
[1] Messenger (MErcury Surface, Space ENvironment, GEochemistry and Ranging, ou en français « Surface, environnement spatial, géochimie et télémétrie de Mercure »)
[2] La sonde MPO est développée par l’ESA (Agence Spatiale Européenne),
[3] A lire en fin de document la biographie d’Alain Doressoundiram, concepteur de l’un de ces instruments.
[4] Mio est sous la responsabilité de la JAXA (Japan Aerospace Exploration Agency).
[5] La magnétosphère est la zone située autour d’un corps céleste dont les caractéristiques physiques sont régies par le champ magnétique émis par ce dernier. Source CNES
[6] Une planète est dite interne lorsqu’elle est proche de son étoile
[7] L’orbite de Mercure est très excentrique (voir 3), de plus son périhélie (distance la plus courte au Soleil) de l’ordre de 46 millions de km, tourne très lentement autour du Soleil. Les astronomes du 19ème siècle ne trouvaient pas d’explication à ce phénomène. Ils ont même envisagé la présence d’une planète ; Vulcain, proche de Mercure. C’est Einstein (1879-1958) qui a donné la solution, contenue dans « la théorie générale de la relativité » en 1915.
Sept années de voyage.
Pourquoi est-ce aussi long pour se rendre sur Mercure, alors que comme déjà dit, il faut seulement entre 6 et 9 mois pour aller sur Mars ?
En fait ces deux cas sont différents.
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Pour atteindre Mars on adoptera un trajet pouvant être qualifié de « direct ». Il s’agit pour le vaisseau spatial de suivre une courbe elliptique (demi-ellipse) qui tangente la Terre et Mars. Voir figure. L’intérêt de cette trajectoire de transfert a été démontré en 1925 par l’ingénieur allemand Walter Hohmann (1880-1945)
La contrainte de cette orbite est le respect de la « fenêtre de tir ». En effet pour suivre cette trajectoire la fusée doit être lancée à une date précise, avec une tolérance de quelques jours, qui ne se renouvelle qu’épisodiquement.
Ainsi, dans le cas de Mars, il faut que le départ ait lieu environ 3 mois avant une « opposition » [1]. Cette configuration ne se répète que tous les 26 mois.
Philippe LABROT (www.nigral.net)
Si l’on considère en première approximation que les orbites martiennes et terrestres sont circulaires, l’orbite de transfert est l’arc d’une ellipse tangente à l’orbite de la Terre au point de départ AT et tangente à l’orbite de Mars à l’arrivée BM. (Courbe bleue marine du schéma ci-dessus)
La dernière opposition de Mars a eu lieu le 27 juillet 2018 (distance Terre-Mars 57,7 millions de Km) et la prochaine aura lieu le 13 octobre 2020 (Distance Terre-Mars 62,7 millions de Km).
Nota. La mission européenne Mars 2018, prévue en 2018 a été reportée pour cause de défaillance technique. Il existe encore, à la date de rédaction de cet article (sept 2019), des doutes sur son départ en 2020.
[1] Une planète supérieure est en opposition lorsqu’elle est derrière la Terre par rapport au Soleil.
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On pourrait également utiliser l’orbite de transfert direct d’Hohmann pour aller sur Mercure. La durée du voyage serait d’environ 106 jours et la fenêtre de tir revient tous les 116 jours.
La grande différence avec Mars est que Mercure se situe entre la Terre et le Soleil et qu’il ne faut pas accélérer la sonde mais au contraire la freiner au départ et à l’arrivée, pour s’opposer à l’attraction de plus en plus forte du Soleil.
Or ce freinage, délicat à réaliser, est aussi gros consommateur de carburant, ce qui nécessite des réservoirs importants. Il faut 1,5 fois autant de carburant que pour quitter la Terre et il doit être emporté depuis la Terre. Il reste finalement peu de place pour les instruments scientifique. Le coût d’un vol direct est donc prohibitif.
On préfère adopter la méthode plus économique, mais plus longue, de « l’assistance gravitationnelle »[1] ou « effet de fronde ».
Il s’agit d’utiliser l’attraction d’un corps céleste (planète, Lune) pour modifier en direction et en vitesse la trajectoire d’un engin spatial (sonde spatiale, satellite artificiel…). L’objectif est d’économiser le carburant qui aurait dû être consommé par le moteur-fusée du véhicule pour obtenir le même résultat. Toutes les sondes spatiales à destination des corps célestes éloignés de la Terre ont recours à cette méthode.
Avec cette méthode il est possible d’accélérer mais aussi de diminuer la vitesse d’un vaisseau spatial comme pour un voyage vers Mercure ou Vénus.
BepiColombo aura recours à 9 assistances gravitationnelles :
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La Terre le 13 avril 2020
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Vénus le 16 octobre 2020 et le 11 août 2021
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Mercure à 6 reprises : le premier du 2 octobre 2020 et le dernier le 9 janvier 2025
[1] Bepi Colombo est le père de cette méthode qui est largement utilisée pour l’exploration spatiale. Elle a été expérimentée la première fois par Marner 10 qui a survolé Vénus et Mercure en 1973 et 1975.
Le prochain article sera consacré au passage de Mercure devant le Soleil le 11 novembre 2019
Postface
Rappel aux lecteurs de la conférence du 01 février 2019, dans la salle de délibération de la Collectivité Territoriale de la Martinique, d’Alain Doressoundiram, (Voir sa biographie), au cours de laquelle il nous a brillamment donné des détails inédits sur cette mission exceptionnelle.
Je reproduis ici le texte de l’annonce de cette conférence : « BepiColombo s’avère être la mission d’exploration la plus sophistiquée jamais réalisée avec pas moins de trois vaisseaux à gérer simultanément. Elle devrait à son arrivée en 2025 répondre à des questions restées en suspens comme l’origine du champ magnétique, l’interaction de la magnétosphère avec le vent solaire, l’histoire volcanique de la planète… »
Biographie : Alain DORESSOUNDIRAM est astrophysicien au Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique de l’Observatoire de Paris.
Spécialiste des petits corps du système solaire et de l’observation infrarouge, il est responsable d’un instrument sur la mission spatiale vers Mercure, Bepi Colombo. Il enseigne l’astrophysique au sein de l’Unité de Formation et Enseignement de l’observatoire, participe au campus numérique et est très impliqué dans les actions de diffusion de la culture scientifique, en particulier vers le jeune public. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages scientifiques.
Il anime régulièrement, chaque année, « La semaine de l’astronomie » en Martinique. Il communique sa passion et son savoir lors des conférences et ateliers destinés aux collégiens, étudiants, professeurs et au grand public.
Il a codécouvert les lunes de Saturne, Siarnaq et Tarvos.
L’astéroïde (7456) a été nommé « Doressoundiram » pour rendre hommage à son travail de chercheur.
BIDOUX sept 2019
Bibliographie :
Revues « l’Astronomie » de sept.2019 et déc. 2018
Divers sites Internet donc ceux de l’ESA et de CNES
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