Un système autonome capable de nourrir une famille entière… c’est possible grâce à l’aquaponie et à l’association ADDEER Association pour le Développement Durable Écologique et des Énergies Renouvelables. Nous avons rencontré à son domicile David-Emmanuel Tisserand, concepteur de systèmes automatisés et aquaponiste depuis 4 longues années et fondateur de l’Association ADDEER.
Cette jeune association maîtrise le processus afin de concevoir et d’installer des systèmes aquaponiques du particulier aux agriculteurs. Un seul objectif : produire une alimentation durable et saine pour tendre vers l’autosuffisance… Qu’est-ce que l’aquaponie ? Comment posséder et faire fructifier son système, pour quels coûts ? Nous avons vu pour vous ! Tentons de répondre à cette question d’actualité : Comment un principe comme celui-là peut-il aider à la réduction de notre exposition à la chlordécone ? Entretien…
Martinique2030 : L’aquaponie, c’est quoi ?
Mr David-Emmanuel Tisserand : Le mot « aquaponie » est une contraction de « aquaculture » (élevage d’espèce aquatique : crustacés, poissons…) et « hydroponie » (culture de végétaux hors sol). L’aquaponie est une technique agricole plébiscitée par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) comme solution aux difficultés d’approvisionnements en eau et à la crise alimentaire mondiale. L’ONU a créé une nomenclature spéciale pour faire référence aux différents systèmes aquaponiques : les IAA (Intégration Aquaculture Agriculture).
L’aquaponie est l’exemple parfait du concept de « l’agriculture durable » et de « l’économie circulaire ». C’est un ensemble d’éléments : bassin aquacole, zone de culture maraichère, filtration et bio filtre lieu de vie des bactéries, qui favorise la symbiose entre végétaux, poissons ou écrevisse. Le tout constitue un mini éco-système naturel re-créé, où les déchets d’un élément deviennent la matière première d’un autre élément.
Cette technologie agricole, n’est pas que du jardinage ; car ici on parle d’autonomie et d’indépendance alimentaire pour des familles, des communautés ou des territoires !
Comment cela fonctionne ?
Puisque « Une image vaut mille mots » … je vous invite à regardez celle-ci.
En fait comme vous le voyez sur ce croquis, les poissons transforment la nourriture en déjections, qui contiennent de l’ammoniaque… L’eau saturée par l’ammoniaque est un poison pour les espèces aquacoles elles-même et pour l’environnement en général. C’est le problème que rencontrent les éleveurs aquacoles. Donc l’enjeux est comment purifier l’eau ? L’eau légèrement souillée, riche en ammoniaque est transportée par pompage à la zone de filtration. L’eau y est filtrée pour y supprimer les déchets grossiers afin que les bactéries entament le « cycle de nitrification » dans le bio filtre ! Plusieurs familles de bactéries transforment les molécules d’ammoniaque en azote ou nitrate … Il y a encore plus fantastique ; d’autres familles de bactéries transforment les métaux solides en métaux liquides absorbables par les plantes. Sans oublier que d’autres familles de bactérie transforment les déchets en oligoéléments qui sont aussi des nutriments pour les plantes.
Tout cela ressemble à un cours de biologie moléculaire ! L’eau y joue le rôle du transporteur amène tous ces nutriments à la zone agricole. Les plantes poussent dans un substrat, dans le schéma que vous voyez ici, ce sont des pierres volcaniques microporeuses, qui ont pour vocation d’accueillir les bactéries elles aussi.
En résumé : bactéries Nitrobacter et Nitrospira et d’autres transforment l’ammoniaque et l’urée tout d’abord en nitrites, puis en nitrates qui sont alors directement assimilables pour la croissance des plantes. L’eau ressort alors purifiée des bacs de culture, et elle ne contient plus aucunes substances nocives pour la santé et la croissance optimale des espèces aquacoles. C’est un circuit fermé. Dans un petit système aquaponique, les bacs de culture jouent simplement le rôle idéal de filtre et bio filtre. Tout cela se fait sans action humaine les bactéries travaillent pour nous, elles sont des alliés microscopiques !
Est-ce simple de réaliser un tel système ?
La conception puis l’installation d’un système aquaponique requiert de solides connaissances et compétences en mécanique des fluides et en hydraulique … Il faut être aussi un bon bricoleur !
Par contre une fois installée, à entretenir c’est un jeu d’enfant. L’aquaponie est un art qui s’apprivoise facilement, avec un petit temps d’adaptation pour prendre quelques nouvelles habitudes. Il faut approximativement 5 à 10 minutes maximum chaque jour pour vérifier que tout fonctionne correctement, nourrir les poissons ou écrevisses et surveiller quelque fois la qualité de l’eau (test de kH, pH…) ! Il sera même possible d’automatiser ces étapes. C’est donc une technique abordable par tous, que nous pouvons intégrer dans les écoles, dans les entreprises, dans nos lieux de vie.
Dans un monde où il est temps de prendre les choses en main pour diminuer notre impact négatif sur la planète nous devrons changer nos habitudes pour faire partie de la solution. La production de nourriture locale de qualité organique et biologique deviendra bientôt indispensable dès lors l’aquaponie sera très vite incontournable au vu de sa simplicité, son efficacité et sa productivité.
Où peut-on installer un système aquaponique ?
Quasiment partout : Dans les jardins à l’extérieur, dans une serre pour les agriculteurs, ou à l’intérieur (balcon et véranda). Il faut simplement faire attention à ce que les plantes soient ensoleillées. Dans les conditions urbaines l’aquaponie s’installe dans les friches industrielles ou sur les toits en terrasse des bâtiments. Les jardins publics et les jardins partagés sont appropriés pour créer des installation IAA. Différentes configurations sont possibles par exemple :
- Le bassin de poissons est à l’extérieur complètement ou partiellement enterré dans le sol, avec les bacs de cultures de plantes autour ou à proximité, dans un jardin bien exposé.
- Le bassin de poissons à l’intérieur d’un garage ou hangar, avec les bacs de culture à l’extérieur ou dans une serre attenante à la maison…
- Il est aussi possible de créer un système aquaponique complet à l’intérieur, dans un espace de culture sans soleil ce sont des lampes qui prennent le relais, plus compliqué et aussi moins « écologique », bien que cela soit possible d’avoir de l’électricité en abondance avec des panneaux solaires photovoltaïques !
Le saviez-vous ? : En Belgique un centre commercial a installé un système aquaponique sur la toiture et ainsi il fournit aux clients des produits ultra frais ! Pour sûr, c’est du service en circuit court !
L’aquaponie, c’est donc tout un nouveau monde passionnant à découvrir…
Quel est le but de votre Association en ce qui concerne l’aquaponie ?
Nous sommes ressource pour les agriculteurs, mais souhaitons plus que tout, déployer des systèmes aquaponiques pour des projets domestiques. Nous faisons la démonstration que sur une petite surface, ici sur 25 m², un système aquaponique est capable de subvenir aux besoins d’une famille de 5 à 6 personnes. Nous développons des petits modèles, de la micro aquaponie, pour une vocation pédagogique, scolaire, ou pour ceux qui souhaitent découvrir et qui ont envie d’aller plus loin.
Les plantes s’arrosent donc seules, pas de perte d’eau ?
En effet les plantes sont irriguées en permanence de ce fait en aquaponie les plantes atteignent leur potentiel de croissance rapidement car elles sont dans un milieu abondant en nutriments, la compétition n’existe pas ; dès lors leurs cycles de croissance sont optimisés et sont plus rapides : de 40 % en moyenne. L’Aquaponie est économique : 80 à 90% d’eau en moins comparativement à la culture traditionnelle en plein sol.
Les seules pertes d’eau qui pourraient exister seraient dues à un défaut dans l’installation ou à l’évapotranspiration des plantes. Nous avons fait l’expérience suivante : Nous avons mis un système aquaponique au soleil, exprès, dans un cadre défavorable pour que nous puissions voir tout le potentiel de celui-ci. Nous constatons que l’évaporation est très faible car toutes l’eau qui n’est pas absorbée par les plantes est retournée dans le bassin. Si on fait le comparatif par rapport à l’arrosage en agriculture conventionnel, on ne perd pas d’eau. Lorsque vous arrosez, la plante ne récupère que 5% de l’eau arrosée. Une autre astuce nous permet de faire des économies : l’eau monte de façon graduelle dans les tables de cultures ayant attient un certain niveau, par un phénomène de siphon, l’eau redescend vers le bassin ; cela assure une « respiration » au niveau du substrats.
Cette « respiration » est bonne à la fois pour les bactéries et les systèmes racinaire des plantes, voilà comment nous amenons de l’oxygène au cœur du substrat. C’est vraiment un cycle qui mime la nature, c’est pourquoi on parle de bio mimétisme. L’eau est claire, transparente, un peu d’algue se forme sur la paroi, mais comme ce sont des poissons omnivores, ils les mangent. Dans une période comme celle que l’on vit aujourd’hui où la gestion de l’eau devient un casse-tête politique, l’aquaponie apporte une réponse adaptée très intéressante.
Avec quels types de poissons est-ce possible ?
Globalement en aquaponie toutes les espèces de poissons et crustacées d’eau douce, sont potentiellement admissibles. On peut même utiliser des crustacées comme les écrevisses pour un système aquaponique. C’est le cas du système aquaponique que nous appelons « Aqua Zen » car il a une finition bois pouvant même aller dans des bureaux. Dans cette autre système aquaponique nous avons des Saint-Pierre ou perche du Nil. Nous avons fait une expérience qui est une grande source de fierté, en effet nous avons acclimaté une espèce de poissons maritime les « Loups des Caraïbes » à l’eau douce. Ainsi nous pourrons offrir plus de variétés aux membres de l’ADDEER. Toutes ces expérimentations sont financées par les cotisations des adhérents et les dons de la population qui nous soutient.
Ce système aquaponique sera-t-il commercialisé ?
Nous réalisons des études accompagnons les agriculteurs qui souhaitent s’installer ou réorienter leurs exploitations en ferme aquaponique. Pour le grand publique nous proposons des Micro Aquaponie et Aqua Zen afin qu’ils découvrent cette méthode de production alimentaire durable. Le tout tient sur une surface de 1,2m² un bassin de 500 litres et une table de culture 1,2m² vous pouvez facilement élever entre 25 et 30 poissons. Nous organisons des ateliers de découverte en aquaponie pour la population les week-ends ! L’intérêt de l’aquaponie c’est d’allier la production piscicole à la production végétale en abondance.
C’est une véritable alternative que vous proposez vu tous les problèmes rencontrés en ce moment en termes de pollution des sols au chlordécone ou autres phytosanitaires ? C’est une autre génération qui a provoqué la situation existante, on ne va pas se mentir et parfois on a laissé faire. Quand j’ai compris que c’est pendant 650 ans que les terres seront polluées, cela m’a interpellé. Nos enfants nous jugeront comme nous, on a jugé nos parents et les générations qui nous ont précédés.
J’ai envie que mon fils dise : « mon père a participé à la solution » au lieu qu’il dise : « mon père a participé au problème ».
Voilà pourquoi j’ai englouti beaucoup de mes économies à voyager pour me former afin que je puisse maîtriser les différents types de systèmes aquaponiques…
Voici la raison d’un père !
Je l’avoue, actuellement concevoir et installer des systèmes aquaponiques est devenu une passion ! Le prodige de l’aquaponie, c’est que sur une très petite surface, on peut avoir une très grande quantité de production alimentaire. Il est temps de passé a un nouveau type de production agricole car être toujours à amender le sol avec des produits phytosanitaires, est la cause des pollutions que subit notre pays la Martinique. Par contre en aquaponie le seul besoin c’est de bien alimenter ses poissons. Le principe est bien nourrir les poissons pour des plantes en bonne santé ! Nous recommandons les poissons herbivores, macrophages et microphages, ce qui veut dire qu’ils vont aussi se nourrir des algues invisibles à l’œil et les algues que vous voyez. Ils se nourrissent aussi d’une variété de fougère d’eau, aussi appelée lentille d’eau. Mettre en place un système aquaponique n’est pas simple, je ne dirai pas non plus que c’est compliqué, comme tous, cela demande un savoir-faire. Par contre lorsque le système aquaponique est en place, vous n’avez plus rien à faire, à part nourrir les poissons, planter et récolter bien sûr vous pouvez pêcher vos poissons pour les déguster.
Que récoltez-vous ?
En plus de pouvoir pêcher mes poissons et les écrevisses, je fais pousser une très grande quantité de plantes maraichères à fruits et à feuilles : des christophines, des haricots verts du céleri, du piment végétarien, de la carotte, du gombo, du chou chinois, de la laitue, et aussi des plantes aromatiques comme le doliprane, etc… En ce moment je fais un essai avec de l’ananas. Nous sommes sur 10 surfaces de 1,20m² et les plantes ne se gênent pas. Bref, à peu près toutes les cultures maraichères et horticoles sont possibles en aquaponie.
Ces dispositifs peuvent-ils être utilisés en appartement ?
Parfaitement. On pourrait faire des systèmes plus petits qui seraient muraux, sur une production verticale type mur végétalisé avec un bassin de 300 à 400 litres d’eau, comme un gros aquarium.
Quelles sont vos ressources ?
Nos fonds, propres. Nous sommes un petit groupe et y avons investi nos économies, nos loisirs, notre temps… C’est l’adhésion des membres qui nous permet de continuer à concevoir, développer des projets et donc d’avoir des résultats. Nous retranscrivons aux membres les informations, le savoir-faire, la compétence de telle sorte qu’eux aussi trouvent à parfaire leurs système aquaponique.
Organisez-vous des ateliers ?
Nous mettons en place des ateliers de formation le plus régulièrement que possible. Elles ont lieux le week end. Les participants viennent de la Martinique mais aussi des autres territoires comme la Guyane. Le premier jour nous étudions les aspects techniques de l’aquaponie et le second jour nous réalisons un système aquaponique. Nous communiquons par des petites vidéos, tout cela par le biais de Facebook. L’objectif c’est de passer à une autre échelle, une échelle communautaire. Nous travaillons sur un projet avec 5 familles qui ont un terrain et qui veulent se lancer dans l’aquaponie. Ça fait 30 à 35 personnes à nourrir sur un système aquaponique qui va être dimensionné en fonction des besoins.
Quel est le coût d’un tel système ?
Il varie pour un petit système aquaponique entre 450 et 750 euros par rapport à la motorisation choisie. La motorisation externe est moins chère mais rend le système moins compact. Nous sommes aussi sollicités pour l’installation dans les maisons de système aquaponique pour une autonomie alimentaire partiel des résidents. Les fermes aquaponique pour les agriculteurs sont des projets qui demandent un travail d’étude et de dimensionnement particulier ainsi nous faisons un devis adapté au besoin et au type de production souhaitée.
L’association est-elle déjà prête à fournir l’accompagnement ?
Le but de l’ADDEER est justement de fournir aux gens de l’accompagnement, leur apprendre à faire eux-mêmes, à développer et améliorer leurs système aquaponique.
L’association nous permet de faire un échange de bonne pratique, de savoir-faire, de compétence et d’entre aide. On veut aider à la réussite ! Nous croyons à l’héritage d’entraide transmis par des communautés des mornes et des bords de plage dont nous sommes issus. Nous n’avons pas comme ambition de vendre des projets, notre ambition c’est que les gens reviennent à la terre, même si on plante dans des pierres volcaniques. Le but de l’association c’est d’épauler, encadrer et surtout de pouvoir partir l’esprit tranquille en laissant une solution à nos enfants !
Où vous procurez-vous ces pierres ?
La nature est tellement bien faite qu’il suffit de se rendre au Prêcheur et le lahar qui coule tout le temps est chargé de ces pierres.
Propos recueillis par Philippe Pied
ADDEER 4
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