Sans doute avez-vous déjà profité de la fraîcheur d’un bon vieux carbet, fait de bois, de feuilles et de cordes. Mais saviez vous que cet artisanat relève d’une tradition bien d’ici? Rencontre avec Philippe Giberne, qui perpétue en Martinique une technique des plus anciennes de la caraïbe.
D’où vous vient ce savoir faire?
Je suis allé apprendre le métier en République dominicaine. Ma chance, ça a été de rencontrer le monsieur qui fait tous les hôtels en feuilles là-bas. On a discuté et je lui ai dit: “Ton truc c’est super! Est ce que tu veux bien m’apprendre?” Les gens gardent bien leurs secrets et ce n’est pas toujours facile, mais il m’a dit : “Pas de soucis Philippe, si tu veux je t’apprends“. Je pense qu’il voyait là aussi une continuité de sa technique, de son art, vers les îles du sud. Une fois la méthode bien acquise, j’ai décidé de revenir m’installer ici, en Martinique.
Réalisez-vous des ouvrages pour des particuliers?
Pour des particuliers oui, mais aussi les hôtels, les villes, etc. L’hôtel La Pagerie, à la Pointe du Bout, c’était l’un de mes tout premier chantier. Ensuite il y a eut Location Vue Turquoise, puis le Club Med’ et ça c’est enchaîné.
Êtes-vous le seul en Martinique à fabriquer des carbets ?
Il y a des gens qui font des choses, mais ça ne ressemble pas du tout à ce que je fais, déjà parce que j’ai mon propre bois qui est de l’eucalyptus brut, rien de droit ni de carré. Ma technique est une méthode Arawak, c’est ça qui me permet aujourd’hui d’être un artisan d’art. Chaque feuille est posée à la main et attachée par sa propre tige. C’est vraiment une technique Caribéenne.
Et dans le reste des Antilles cette technique est-elle encore utilisée?
Là où il y a encore des indiens Arawak, comme en Dominique, où on retrouve encore des carbets fait de manière traditionnelle, mais la plupart du temps, les matériaux modernes l’ont remplacé. Mettre de la taule ça va tellement plus vite. Heureusement beaucoup de gens reviennent à quelque chose de plus vrai et de plus écologique.
Et coté matériaux?
Le bois vient de la République dominicaine et la corde de chanvre aussi. Les feuilles sont des feuilles de Latanier, une espèce floristique que l’on retrouve beaucoup en Martinique. Il y a des gens qui nous autorisent à prendre des feuilles sur leur terrain, mais j’ai moi même planté 8000 m² d’arbres en Martinique pour subvenir au besoin de mes carbets.
Combien de temps va durer un carbet comme celui là?
Ça peut durer vraiment très longtemps, ça va dépendre de l’endroit ou il est placé. Par exemple, situé en front de mer, les feuilles sèchent un peu plus et sont plus cassantes. Pour ce qui est d’un carbet en terrain humide, dans le nord ou un peu plus dans les terres, celui-ci tiendra au moins 10 ans sans problèmes. Les premières années, j’offre gratuitement de faire les retouches au besoin.
Et au niveau des intempéries?
Ça tient très bien, le vent très fort passe en dessous, au travers. La feuille, contrairement à une taule, ne s’arrache pas sous la pression, les brins des feuilles bougent un peu, se soulèvent légèrement et laisse passer une grosse rafale. Après les vents forts qu’on a eut l’an dernier, rien n’a bougé.
Des projets futurs?
Moi j’ai 60 ans et il n’est pas question que je m’arrête. J’espère bien mourir sur un toit comme Molière au théâtre, mais si à 70 ans j’arrive encore à monter sur un toit ça sera déjà pas mal. Pour les 10 ans qui me restent je ne me casse pas trop la tête. Si quelqu’un n’est pas trop bête, il reprendra derrière moi. J’ai des enfants, peut être qu’ils en auront envie. Se sera à eux ensuite de développer l’entreprise. Pour ma part je compte bien rester le petit artisan que je suis.
Vos enfants connaissent la technique?
Ah oui ! Ils la maîtrisent tous, mais pour l’instant ils sont jeunes. Ils doivent aller vivre leurs expériences et peut être un jour revenir reprendre ce que j’ai bâti.
Propos recueillis par Mariska Desmarquis
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